Teknival du 1er mai 2004
La traditionnelle manifestation techno du printemps a rassemblé 90 000 "teufeurs" sur la base aérienne abandonnée de Chambley (Meurthe-et-Moselle).
Avec 90 000 teufeurs dans la nuit du samedi 1er mai, le "Free Open Festival" de Chambley 2004 aura plus séduit que le "Sarkoval" Marigny 2003 (Marne), où 45 000 personnes s’étaient tout de même rendues. La météo, clémente, et la bonne tenue relative de l’édition précédente ne sont pas étrangères à cet incroyable engouement pour la traditionnelle manifestation techno du 1er mai.
Même double piste en forme d’hippodrome, même tarmac un peu défoncé, même isolement, le charme de la base aérienne de Chambley, abandonnée par l’OTAN en 1967, est, à peu de choses près, égal à celui de Marigny : proche de zéro. L’environnement en revanche, légèrement vallonné, champs de colza en fleurs et clochers au loin, possède un aspect bucolique non négligeable dans la journée, quand on ne dort pas. Le soir, les lasers, dressés vers le ciel, se chargent du décor. Surtout, depuis le poste de contrôle de la préfecture, installé dans les anciens locaux de l’armée, la vue est idéale.
L’expérience de Marigny a porté ses fruits. Entrée unique et sorties contrôlées, zones parking et festival mélangées pour permettre aux participants de s’organiser autour de leur voiture-campement, sound systems (mur d’enceintes) alignés sur le tarmac, le plan de la préfecture est d’une rigueur absolue. Dans la zone festival, les choses sont moins figées certes, mais tout fonctionne, au grand soulagement de Jean-François Cordet, préfet de Meurthe-et-Moselle, qui n’a pas lésiné sur les moyens : 360 gendarmes, un poste médical avancé de quarante lits, zone de secours "sanctuarisé", et villages sans commerces interdits d’accès aux teufeurs. "Comme pour des pestiférés", s’agace l’un d’eux. La tranquillité a un prix. Comme la banalisation, qui amène son lot de vendeurs en tout genre, "marchands du temple capitaliste" selon le collectif des sound systems.
ROYAUME DES EXCÈS
Bertrand a fait le voyage depuis Brest, où il jouait comme DJ, vendredi soir. "Ça aurait pu être en Allemagne, j’y serais quand même allé", dit-il. Ils sont nombreux à venir, comme lui, de l’Ouest de la France. 40 % selon les comptages de la gendarmerie. Le nombre d’étrangers, quasi inexistant en 2003, a légèrement progressé. Quelques Britanniques, deux ou trois "sons" hollandais et italiens, mais rien de massif. La plupart viennent de Lorraine et d’Alsace. Rebaptisé Free Open Festival, autorisé et encadré de près par les autorités, le Teknival n’en reste pas moins, en son sein, le royaume des excès. Sonores bien sûr - c’est un des principes de la techno hardcore, dure et rapide, qu’on y joue en grande majorité -, mais aussi festifs. On danse jour et nuit, on boit, on consomme des drogues aussi. Bref, on se "lâche".
Le changement est réel pourtant comparé à 2003, dans la diversité des sons : jazz à l’heure de l’apéritif chez les Parisiens de Mas I Mas, qui "mettent un point d’honneur à varier les genres", sautillant ragga jamaïcain chez les Anglais KSS, house chantée chez ZNO, petit sound system écrasé par la musique de son voisin. "On est venus pour montrer qu’il n’y a pas que du hardcore. Parfois, les gens s’arrêtent et sourient." Sous un chapiteau, un groupe ska rock. Plus loin, un DJ d’Oxygen ose même passer Prince et Eurythmics. "C’est devenu un vrai festival", commente, avec une pointe de regret, un membre des RSKP, un des grands sound systems hardtek (une techno dure mais aérienne). Pourquoi venir alors ? "Pour représenter notre région, Le Havre", se retrouver entre soi, monter un "son" à plusieurs. Les Nawak, parisiens, ont ainsi réalisé un gigantesque bateau pirate, avec leurs amis de Lille.
Dimanche en fin d’après-midi, alors que 45 000 personnes étaient encore présentes, la préfecture exprimait sa satisfaction sur le respect des engagements du collectif, en terme de nettoyage et de sécurité notamment. Le principe de donation pour participation aux frais a été reconduit.
Par Odile de Plas, lundi 03 mai 2004 Chambley (Meurthe-et-Moselle) de notre envoyée spéciale |