Zevs, rapts à l’affiche
Arts. A Paris, installation ludique de l’ex-graffiteur.
L’avantage, avec le kidnapping visuel, c’est que l’otage reste « sage comme une image », atteste Zevs, artiste urbain qui a posé sa valise de preneur d’otage dans une galerie parisienne, avant exécution. Rivée au sol, l’image en question, une bimbo italienne incarnant la dolce vita à la Lavazza, est soumise aux desiderata du ravisseur, qui préfère avancer masqué, construisant son oeuvre comme un polar.
A droite de la bimbo dévêtue, un bureau métallique de commissaire de police, sur lequel un téléphone se met à sonner pile quand on se demande ce que le dispositif veut dire : une vidéo repasse en boucle les images de l’enlèvement, soit le décrochage au cutter de la silhouette, à Berlin, sur Alexanderplatz, le 2 avril 2002, à 5 h 37 du matin.
« Scalpel ». « Armé de mon scalpel, j’escalade la façade de l’hôtel sur laquelle se trouve l’affiche Lavazza. Une heure et demie plus tard, l’otage est en ma possession et je quitte les lieux, laissant sur l’affiche évidée : VISUAL KIDNAPPING PAY NOW ! », explique Zevs, 26 ans, ex-graffiteur qui s’est progressivement émancipé de sa seule signature logotypée, un éclair entouré d’un nuage, laissée sur les murs de la ville ou les parois des RER (il tire son nom de l’un d’eux, taggé par ses soins).
L’école l’ennuie, la ville est son atelier, la nuit son univers. Un jour, « au petit matin », pour « conserver le souvenir des nuits de maraude, j’ai tracé le contour des ombres, celle de mon scooter d’abord puis des objets de la ville, les poubelles, les horodateurs... ». Le « style » Zevs est né, un mélange de marquage très contemporain de la ville, de réappropriation politique d’un espace public de plus en plus privatisé, et de manifeste clandestin pour un art populaire hors matraquage publicitaire. Bien avant les campagnes massives des antipubs (lire aussi page 25), Zevs salissait les 4x3 en pratiquant des « crimes d’image », soit trois impacts de balle fictive sur les mannequins...
A Berlin, invité par une galerie à montrer ses attaques visuelles, il plonge dans l’escalade criminelle : il découpe à même la bâche de 12x12 m, envoie le doigt coupé de la bimbo au siège de Lavazza, en Italie, en réclamant une rançon, la police interroge la galeriste, qui n’aura pas d’ennuis - l’otage est déjà partie en Suède. Il peaufine encore le scénario, enregistre une vidéo où les gambettes gigotent étrangement et envoie une lettre anonyme exigeant 500 000 euros de rançon.
Exécution. A Paris, le visiteur est invité à choisir l’issue de la prise d’otage : en donnant 1 euro, il fait pencher la balance côté exécution, s’il veut sauver l’otage, il lui faut acheter l’oeuvre. Pour l’instant, une grande majorité condamne l’otage. Si Lavazza Allemagne avait porté plainte contre X pour destruction, la maison mère n’a toujours pas réagi.
Visual Kidnapping de Zevs, dans le cadre de « Show-Room #3 : Imposture légitime », galerie Patricia Dorfmann, 61, rue de la Verrerie, Paris IVe. Jusqu’au 28 février.
Par Annick RIVOIRE, Liberation Article paru dans l’édition du 03.02.2004 |