La communauté des tagueurs remuée par la mort de Michaël, poursuivi par la police.
« T’as conscience du danger mais tu peux pas t’en empêcher »
Depuis la mort de Michaël (lire ci-contre), de nombreux tagueurs accusent le coup. La solidarité avec la famille du jeune homme commence à s’organiser dans le milieu. Olivier Jacquet, rédacteur en chef du magazine spécialisé Graff it, va donner à la mère de Michaël la possibilité de s’exprimer dans une tribune libre d’un prochain numéro. De jeunes tagueurs prévoient aussi de dessiner sur les murs des dédicaces à l’adolescent. Leur façon à eux de lui rendre hommage.
« Il ne devait pas avoir l’habitude d’avoir affaire à la police. Il a paniqué et n’a alors plus pensé qu’à fuir. » Pour Nabil, Michaël s’est affolé dans ce jeu du chat et de la souris dont il ignorait les dangers. Cet ancien tagueur de 29 ans s’occupe aujourd’hui d’un magasin de graphes à Lille (Nord). Il y vend surtout des bombes de peinture destinées aux tagueurs. Des jeunes comme Michaël, il en côtoie tous les jours. Pour lui, la majorité d’entre eux n’est pas issue de milieux défavorisés et « ne vit pas dans le monde de la rue ». Les interpellations, les contrôles de papiers, ils n’y sont pas trop confrontés. « Quand ils se retrouvent nez à nez avec la police, ils n’ont aucune idée de ce qui peut leur arriver », raconte Nabil. Ce qui peut expliquer que certains prennent à ce moment-là des risques inconsidérés pour s’échapper.
Rituel. Les expéditions des tagueurs commencent souvent de la même façon. Pour Fabien, jeune homme de 21 ans, étudiant en anglais à Toulon, c’est le rituel du week-end. Pendant la semaine, il parle avec ses copains d’un mur que l’un d’entre eux a repéré. Il faut aussi vérifier qu’il n’y a pas de caméras autour. La plupart du temps, ils choisissent un lieu où beaucoup de monde passe pendant la journée, ce qui leur donne une certaine notoriété une fois leur forfait accompli. Tout ce qui appartient à l’Etat est prisé, car les tagueurs sont dans ce cas moins souvent poursuivis que lorsqu’ils s’attaquent aux biens des particuliers.
Une fois la cible désignée, l’expédition peut commencer. « Le samedi soir, en général tard dans la nuit pour avoir moins de chances de se faire repérer, on se retrouve chez l’un d’entre nous. On prend nos sacs, nos bombes, et c’est parti ! », raconte Fabien. Avec ses copains issus du même crew (bande) que lui, ils vont alors colorer quelques murs. Le risque fait partie du plaisir. « On essaie de choisir des endroits dangereux d’accès, par exemple aux alentours d’une route ou d’une voie ferrée. On a envie de se surpasser. Comme ça, quand tes potes voient ton graphe, ils te respectent pour le courage que tu as eu. »
Adrénaline. La peur du gendarme, les tagueurs l’ont souvent en tête. Certains, surtout les plus jeunes, y trouvent une source de motivation supplémentaire. La montée d’adrénaline, et avoir un truc à raconter aux copains le lundi matin quand on reprend les cours. Presque tous les tagueurs ont entendu parler de course-poursuite avec la police. Beaucoup en ont vécu. C’est le cas de Michel, 26 ans, tagueur expérimenté de la région de Marseille : « C’était il y a quelques années. Avec trois potes, on faisait un graphe sur le mur d’une usine. L’un de nous a gueulé : "On se casse. Y a les keufs." On est partis comme des fous, tous dans une direction différente. J’ai sauté d’un mur haut de trois mètres pour m’échapper. » Les sanctions judiciaires peuvent être importantes, jusqu’à 75 000 euros d’amende et cinq ans d’emprisonnement. Mais peu de tagueurs sont réellement dissuadés par cette menace. « C’est comme quand t’aimes la vitesse en voiture, explique Michel. T’as conscience du danger, mais tu peux pas t’en empêcher. »
Article paru sur Liberation "http://www.liberation.com" du 15 avril 2004 par Jérôme LEVY. |